Par les gradins monte Ignacio
toute sa mort sur les épaules.
Il cherchait l'aube,
et ce n'était pas l'aube.
Il cherche la meilleure posture,
et le songe l'égare.
Il cherchait son corps splendide,
et trouva son sang répandu.
Ne me demandez pas de regarder!
Je ne veux pas voir le flot
qui perd peu à peu sa force,
ce flot de sang qui illumine
les gradins et se déverse
sur le velours et le cuir
de la foule assoiffée.
Qui donc crie de me montrer?
Ne me demandez pas de le voir!
Il ne ferma pas les yeux
quand il vit les cornes toutes proches,
mais les mères terribles
levèrent la tête.
Et à travers les troupeaux,
s'éleva un air de voix secrètes,
cris lancés aux taureaux célestes
par des gardiens de brume pâle.
Il n'y eut de prince à Séville
qu'on puisse lui comparer,
ni d'épée comme son épée,
ni de coeur aussi entier.
Comme un fleuve de lions
sa force merveilleuse,
et comme un torse de marbre
sa prudence mesurée.
Un souffle de Rome andalouse
nimbait d'or son visage,
où son rire était un nard
d'esprit et d'intelligence.
Quel grand torero dans l'arène!
Quel grand montagnard dans la montagne!
Si doux avec les épis!
Si dur avec les éperons!
Si tendre avec la rosée!
Eblouissant à la féria!
Si terrible avec les dernières
banderilles des ténèbres!
Mais voilà qu'il dort sans fin.
Et la mousse et l'herbe
ouvrent de leurs doigts sûrs
la fleur de son crâne.
Et son sang s'écoule en chantant,
chantant à travers prairie et marais,
glissant sur des cornes glacées,
son âme chancelant dans la brume,
trébuchant sur mille sabots,
comme une longue, obscure et triste langue,
pour former une mare d'agonie
auprès du Guadalquivir des étoiles.
Oh! Mur blanc d'Espagne!
Oh! Noir taureau de douleur!
Oh! Sang dur d'Ignacio!
Oh! Rossignol de ses veines!
Non.
Non! Je ne veux pas le voir!
Il n'est pas de calice qui le contienne,
ni d'hirondelles qui le boivent,
ni givre de lumière qui le glace,
ni chant, ni déluge de lis,
il n'est de cristal qui le couvre d'argent.
Non!
Non! Je ne veux pas le voir!!
Traduction originale du poème en français; Sylvie Corpas© et Nicolas Pewny©:
(traduction agréée par la Fondation et les héritiers de Garcia Lorca)
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